mercredi 27 novembre
L’un des sujets les plus importants qui secoue la vie politique du Sénégal en général, et de Louga en particulier, reste la question des litiges fonciers. Du littoral de la presqu’île du Cap-Vert aux terres de Ndengler, en passant par la commune de Diass et les côtes du Lac rose, les sénégalais s’indignent et dénoncent, un peu partout, un vampirisme foncier qui se manifeste par le bradage des terres au profit de quelques privilégiés. Mais dans la ville de Louga, au cœur de ce problème, se trouve la question de l’aménagement du boulevard Abdou Diouf, entrepris par la municipalité. Présenté à la population locale comme un projet visant à embellir ledit boulevard afin de rendre la capitale du N’diambour plus attrayante, ce programme cache en réalité des desseins nébuleux qu’il est possible de remarquer avec l’exploitation des documents officiels présentés à la mairie. Il convient de souligner qu’en tant que lougatois habitant cette ville et l’aimant par-dessus tout, nous ne saurions être contre une idée de l’enjoliver, de la rendre plus attractive qu’elle ne l’est présentement. Mais, face au dessein inavoué de dirigeants qui profitent de toutes les occasions pour spolier à titre privé le foncier de la ville, nous estimons avoir l’obligation d’un droit de regard sur les politiques publiques et de s’interroger sur la pertinence des programmes soumis à la population.
Tout d’abord, si l’on s’intéresse sur la forme, il importe de préciser que le « Projet de convention et d’exploitation d’un parc d’attractions et de loisirs sur le boulevard abdou Diouf », en réalité, n’est pas du tout un projet. En effet, un projet représente un ensemble d’actions pour satisfaire un objectif défini dans le cadre d’une mission précise et pour la réalisation desquelles on a identifié non seulement un début mais une fin. Or, dans le document en question, il n’y a ni échéancier, ni étude financière. Aucun chiffre ou étude sérieuse comme référence, juste de la littérature ! Voilà pourquoi, même après lecture dudit « projet », des questions demeurent toujours en suspens et sans réponse : A quelle date est fixée la fin des travaux pour le démarrage effectif des activités ? L’alinéa 1 de l’article 5, portant sur la durée d’occupation des lieux stipule : « l’autorisation d’occupation et d’exploitation est consentie pour une durée de cinq ans, à compter de la date de fin des travaux d’installation, renouvelable tous les cinq ans ». Comme vous pouvez le constater, la date de fin des travaux reste jusque là imprécise. En plus, d’où vient l’argent qui doit financer ce programme ? A combien s’élève le coût global de l’investissement ? Quelle est la valeur actuelle nette (VAN) ou encore le taux de rentabilité interne (TRI) de ce « projet » ?
Ensuite, certaines constructions annoncées dans ce boulevard nous semblent inopportunes, imprudentes voire peu pertinentes. C’est l’exemple de la salle de musculation et de la pharmacie qui sont des infrastructures existant déjà dans cette zone. En outre, l’érection de 168 cantines de 16m² risque de transformer certainement cet espace en un marché. Or, il s’agit d’une zone qui non seulement jouxte l’hôpital Amadou Sakhir Mbaye, mais aussi, regroupe plusieurs bâtiments administratifs à savoir la gouvernance, le service des domaines, l’Onas, le service de la poste, le contrôle régional des finances, etc. De plus, le lycée Malick Sall se trouve à quelques encablures ainsi que le stade Alboury Ndiaye qui refuse du monde pendant les navétanes. Il se pose alors la question de savoir si tout ceci ne va pas créer une mauvaise organisation et une occupation irrégulière de l’espace public ? Nous savons déjà à quel point nos marchés sont désordonnés et quasi ingérables. Par ailleurs, la construction d’un parc d’attractions payant, au profit d’une population dont la majeure partie de la jeunesse est au chômage, ou s’est reconvertie, malgré elle, en chauffeurs de motos Jakarta sans aucune protection sociale, ne nous semble pas être une priorité. La population lougatoise est en manque des besoins les plus primaires tels que l’accès à l’eau, l’assainissement, la construction de routes praticables. A cette population et à cette jeunesse là, trouver du travail et assurer un avenir prometteur, est de loin beaucoup plus urgent que de bondir sur un trampoline.
Enfin, dans le document intitulé « Descriptif du projet d’élaboration d’un plan d’aménagement urbain et architectural du boulevard Abdou Diouf », le site qui doit abriter les nouvelles constructions est présenté comme un espace d’une superficie de 95,95 ha, avec une superficie exploitable de 89,75 ha d’après nos calculs. Il se situe entre le rond point de la gare routière et la Gouvernance de Louga. Cela constitue une vaste surface qui doit abriter, en plus du parc d’attractions de 6000 m², des places publiques, des restaurants, des fast-foods, des cantines, des aires de jeu, une salle de sport, des parcours sportifs, une mosquée, une pharmacie et autres édifices décoratives. Mais des zones d’ombre subsistent également à ce niveau. En effet, si le document précise la superficie de la plupart des infrastructures énumérées ci-haut, d’autres par contre restent sans indication : c’est le cas notamment de l’aménagement paysager et de la bande réservée à un espace public, annoncés dans le « programme 9 » ; ainsi que des deux ronds points mentionnés dans le « programme 10 ». Combien de m² doivent occuper ces constructions ? Tout ceci constitue un nébuleux, des failles qui peuvent être à l’origine de toutes sortes de malversations. D’ailleurs, le cumul de la superficie de toutes ces infrastructures mentionnées dans le « Descriptif du projet », nous donne un total de 28.823 m². Cela représente en d’autres termes 2,8823 ha, soit 3,2% seulement de la superficie exploitable du boulevard. Là, d’autres interrogations nous taraudent l’esprit : Qu’est-ce que la mairie de Louga compte faire de l’espace restant ? Pourquoi n’avoir pas spécifié la superficie de toutes les constructions ? N’y a-t-il pas anguille sous roche ?
En conclusion, nous rappelons que ne sommes pas contre l’embellissement du boulevard, mais il faut que cela se fasse à travers un projet crédible, dépourvu de zones d’ombre et de suspicions. Beaucoup de dispositions de la convention entrent pleinement dans le lot des bévues. C’est le cas notamment de l’article 23 qui oblige le bénéficiaire des 6000m² pour la construction du parc d’attractions, de remettre le domaine public communal en « l’état initial » en cas de résiliation du contrat. Cette disposition est tout à fait absurde et impossible à réaliser. De même, les deux millions de francs CFA annuels que le bénéficiaire doit verser à la commune devront l’être pendant combien de temps ? Bref, voilà autant d’interrogations qui révèlent que tout n’est pas clair autour de ce programme et que la municipalité gagnerait à édifier la population sur ces questions, afin de dissiper ces nuages de soupçons nébuleux qui planent sur le boulevard Abdou Diouf.
Papa Moussa SY
Chargé de la formation
Coordination départementale
de PASTEF-Louga
Soyez le premier à commenter ce contenu