mercredi 27 novembre
C’est un Badou Guèye très relaxe qui nous a accueilli ce samedi 31 janvier 2015 dans son domicile lougatois, sis à Thiokhna. A 65 ans, le garçon garde moins ses allures juvéniles d’un éminent basketteur. Certes. Mais, son mètre 90 donne aisément une idée de ce qu’il a pu réaliser sur les parquets. Premier lougatois expatrié, Badou Guèye, le renommé Alcindor sénégalais des années 70, dévoile un riche parcours sportif et socio culturel passé en France. Dans ce premier jet de l’entretien qu’il nous a accordé, il revient sur son parcours. Si nous avons tenu à partager cette interview qui date de 2015 c’est juste pour montrer aux lougatois ce que grand Badou peut apporter à la jeunesse lougatoise. Il n’a pas hésité un seul instant à se rapprocher du maire actuel de Louga pour partager son expérience avec ses concitoyens mais hélas. Quelqu’un qui avait tout pour rester en France mais son amour pour Louga l’a poussé à revenir passer une retraite paisible sur cette belle terre du NDiambour
Louga Infos : Qui est Badara Guèye ?
Badara Guèye : Je suis Badara Guèye et j’ai 65 ans. « Sant Yalla » ! J’ai vécu à Louga pendant une dizaine d’années avant de migrer brièvement à Saint-Louis, au lycée Charles de Gaulle. Mes parents ayant déménagé de Louga, j’ai poursuivi une partie de mes études à Dakar, à la rue 5 X Blaise Diagne de la Médina où j’ai passé mon adolescence et appris le basket. J’ai fait partie de la première école de basket sous la houlette de Alioune Diop, mythique entraîneur national, multiple champion d’Afrique avec la génération des Pouye Faye, Der, Chérif Dièye, Lamine Guèye. A cette époque, les « vieux loups » comme Claude Sadio, Narou Niada, etc. jouaient jusqu’à 35 ans. Ce qui nous confinait dans la catégorie « Espoir » parfois jusqu’à l’âge de…25 ans ; après l’école de basket, on était dans les catégories « Espoir A » et « Espoir B ». En 1972, je suis parti en France où j’ai passé 40 ans.
On voit que vous êtes suffisamment grand pour jouer au basket. Votre taille a sans doute été déterminante ?
A l’époque, je mesurais 1 mètre 95. Mais, l’aventure a démarré avec une bande de copains. Je citerai un grand monsieur du nom de Paul Diouf qui habitait la rue 5 et avait la passion d’initier les jeunes au basket. Il nous regroupait les week-ends et on allait jouer à Gorée où il y avait un terrain. Il y avait également un terrain à la « Maison des jeunes » qui se situait à l’emplacement actuel de la mosquée Seydou Nourou Tall. C’était le terrain de la mythique équipe du Trésor, l’une des meilleures équipes du Sénégal, sinon la meilleure aux côtés du Dakar université club (DUC) des Ousmane Ndiaye. C’est la période de l’adolescence où on a été tout de suite dans le bain des basketteurs du Harlem, du basket « playground ». Contrairement à nos aînés qui étaient plutôt académiques, on avait le basket show et on savait soulever les foules. Après la catégorie junior, j’ai intégré le Bopp, une excellente équipe qui correspondait à mon état d’esprit. C’était une équipe du show, mais avec les victoires à la clé. Notre concurrente était le Saltigué de Rufisque qui avait également un très joli basket.
Dans quelles circonstances avez vous rejoint la France?
C’est un voyage bourré d’anecdotes. Quand je partais, les gens avaient l’habitude de voyager par bateau l’avion coûtant excessivement cher et réservé à l’élite. Un beau jour, je reçois un facteur d’air France qui m’amène un télex m’informant de mon embarquement dans les 72 heures par un vol d’air France à destination de Paris, Lyon et Grenoble. Auparavant, j’avais été « détecté » par un des dirigeants du basket à Grenoble venus à Dakar. La deuxième anecdote, c’est que sous Senghor en ce temps, les nationaux qui voyageaient devaient le faire via Air Afrique. Et, mon billet étant sous forme de télex, j’étais obligé de voyager par Air France. Dans l’avion, j’étais le seul noir à bord.
En son temps étiez-vous dans la peau d’une star ?
En quittant le Sénégal, j’étais une vedette parmi tant d’autres à Bopp où on n’était pas n’importe qui. Et, quand je suis arrivé à Grenoble, les choses se sont faites toutes seules. J’ai eu des fans clubs surtout chez les filles de 7-8 ans à 21 ans, qui n’avaient d’yeux que pour moi, leur Badou local. J’ai ainsi intégré Grenoble Basket qui évoluait en national 3 et, c’est là-bas où j’ai rencontré des sénégalais de la Médina, les Doudou Leyti Camara et autres qui étaient partis 3 mois avant moi. Je jouais contre eux dans le même championnat. Je fais partie des dix premiers sénégalais qui ont été en France pour jouer au basket.
Comment avez-vous réussi votre intégration ?
Ce fut relativement facile. Au Sénégal déjà, je faisais partie de l’équipe d’animateurs culturels au centre Bopp. Nous avions entre 17et 18 ans, mais on était précurseurs de beaucoup, de bonnes choses en matière d’activités socioculturelles avec un néerlandais du nom de Bop vander, à l’époque directeur du centre de Bopp. Donc, étant tout jeune déjà, j’avais beaucoup d’activités d’une dimension assez intéressante, ce qui a fortement participé à ma formation d’homme. Et, quand je suis arrivé en France, j’avais déjà pensé à décrocher des diplômes dans le domaine socioculturel et socio-éducatif. C’est ainsi que j’ai commencé à asseoir ce genre d’études et de recherches en marge du basket. J’ai intégré une association socioculturelle et éducative dénommée « Francs et franches camarades », orientée vers l’éducation des masses. Je dois dire qu’à l’époque, il était facile de changer de club, certains proposaient plus et mieux et cela me permettait de barouder un peu. J’ai ainsi fait 4 ou 5 clubs. Et, quand je suis arrivé à Troyes, la condition était d’accéder immédiatement à des études universitaires et décrocher un diplôme dans la carrière social. J’ai ensuite passé le DEFA (diplôme d’état relatif aux fonctions de l’Animation), destiné aux responsables de structures socio éducatives, un diplôme dont j’étais le premier titulaire dans la région Champagne-Ardenne. Cela m’a permis d’avoir été cadre et de diriger une structure à caractère social, spécialisée dans la prévention de la délinquance. Dans ce domaine également, je suis très connu en France surtout dans la région Champagne- Ardenne où j’ai travaillé dans une grosse boîte dénommée « sauvegarde de l’enfance ». Vous n’avez pas manqué de réussite, sans doute. On vous voit en photo avec l’ancien président Français, Jacques Chirac, avec un très large sourire… J’ai eu l’occasion de travailler avec un fantastique maire de la ville de Troyes où j’habitais. Il s’agit de monsieur François Baroin, député-maire devenu ministre. On a travaillé sur des aspects de société, de déviance, d’insertion et d’adaptation. Il a eu confiance en moi et nous avons entamé des travaux avec des résultats plus qu’inespérés. A l’époque il était également ministre et il était très content des résultats acquis dans des quartiers extrêmement difficiles. C’est ainsi qu’il a invité le président Chirac à venir constater les réussites à Troyes. On a organisé une table ronde pendant quatre heures. Nous avons discuté pendant longtemps et il a sympathisé avec moi. Il m’appelle monsieur Badou Guèye. Et, au bout d’un an, il m’a invité à prendre part
à la « Garden-party » de l’Elysée. Revenons-en au basket. « vous (avez) réconcilié la ville de Troyes avec le basket », dit un extrait du canard local. Un témoignage assez éloquent…
J’appartiens à une génération pour laquelle, le basket a toujours été une passion, un sport de spectacle et de plaisir. Ce qui fait un peu défaut aujourd’hui. A l’époque il y avait un américain du nom de Mcbride, qui mesurait plus de 2 mètres pour environ 130 kilos. Il évoluait au New York Knicks à l’époque en NBA avant de rejoindre Troyes. Il était fantastique et pouvait marquer des paniers extraordinaires. Mais, les gens m’appréciaient avant lui. Mcbride, le symbole du rendement pur tout cour, alors que moi j’avais l’esthétique du jeu en plus. On m’appelait l’artiste parce que j’avais l’art de jouer au basket tout en étant efficace.
Un art qui vous a sans doute procuré beaucoup de bonheur…
Effectivement ! Sur le plan social d’abord, parce qu’il m’a permis d’accéder à tout ce qui m’attirait dans un sens positif, et m’a permis de connaître beaucoup de personnes. Mon autre bonheur, c’est que j’ai joué au basket pendant presque 40 ans. J’ai terminé ma carrière en tant qu’entraîneur-joueur et les dix dernières années, j’ai fait la corrélation entre le travail et le basket. J’ai créé un club dans le cadre du boulot avec des populations qui étaient dans des difficultés sociales. J’ai créé un club qu’on a appelé Troyes Champagne Basket, avec des jeunes issus de quartiers difficiles.
Est-ce que le basket Sénégalais a connu Badara Guèye ?
Je faisais partie des équipes « Espoirs », qui étaient les « réserves » parce que l’élite était composée de vieux routards dont la moyenne d’âge avoisinait plus de 30 ans. C’était l’époque des Claude Sadio, Claude Constantino, Bouba Ndiaye et autres qui étaient de mythiques joueurs. Mais en réalité, on les avait dépassés sur le plan technique et physique. A Dakar je suis plus connu sous le nom de Alcindor. Parce que vers les années 67 l’un des meilleurs basketteurs au monde, Lew Alcindor était venu à Dakar. Il mesurait entre 2 mètres 15 et 2 mètres 20, mais jouait comme un petit, tellement il était doué. Il était accompagné de Oscar Robinson, avec lequel il partageait le même club, le Milwaukee Bucks. On était dans la main-courante pour ramasser les ballons. Quand il est reparti, j’ai décidé de jouer comme lui. Il était doué pour le « bras roulé » et quand j’ai commencé à l’imiter à Bopp, cela a intéressé les gens. Au début c’était juste de la rigolade, mais vu que Alcindor arrivait à marquer 30 à 40 points avec cette technique, j’arrivais à marquer entre 10 et 30 points avec le « bras roulé ». Arrivé en France, j’étais tellement à l’aise avec cette technique qu’il m’arrivait de tirer des « lancer francs » avec.
Comment appréciez-vous le basket sénégalais d’aujourd’hui ?
Ma première satisfaction, c’est le déplacement de l’hégémonie. Dakar n’est plus obligatoirement le leader naturel. Saint-Louis lui discute la chandelle. Je pense que le développement du basket doit se faire au plan national. Pour qu’il soit un sport de haut niveau, il faut que cela se joue dans toutes les régions et qu’il y ait de bonnes répliques. Ce n’est pas le talent qui manque aux jeunes de Matam, Tamba ou Kaolack, mais ils n’ont aucun appui derrière eux. J’ai eu l’occasion de voir des jeunes de Matam à l’oeuvre et me suis rendu compte qu’ils sont très doués et ne demandent qu’à être structurés, soutenus. Pour ce faire, il faut une véritable politique décentralisée en matière de basket pour mettre en valeur les potentialités régionales.
Entretien réalisé par Mansour NDIAYE
Louga Infos
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