mercredi 27 novembre
Le grand Magal de Touba marque le départ, en 1895, du fondateur de la confrérie mouride, Cheikh Ahmadou Bamba Mbacké, en exil au Gabon, où il resta sept ans. L’ampleur du Magal reste une preuve tangible qui illustre la grâce que Dieu a accordée à Cheikh Ahmadou Bamba Mbacké. Aujourd’hui, il apparaît, de manière formelle, qu’au-delà de l’aspect religieux, illustré par les prières, les offrandes et autres largesses, le Magal a un aspect qualitatif et quantitatif en ce sens qu’il participe à l’émergence socio-économique du Sénégal.
De fait, le Magal de Touba possède un caractère multidimensionnel qui permet de mettre en évidence ce que la communauté mouride est prête à faire, voir même à sacrifier, pour un bon déroulement de l’évènement.
1. La DIMENSION SPIRITUELLE
Dans la compréhension des pèlerins, le Magal de Touba accroît les valeurs spirituelles, sociales, et culturelles des mourides. Les résultats issus des enquêtes sur les ménages à Touba et les dahiras, menées par le Cabinet Emergence Consulting, en 2011, montrent clairement que pour 81% des individus enquêtés, l’un des déterminants fondamentaux de la célébration du Magal, c’est d’abord et avant tout, la confirmation de l’appartenance à la communauté mouride qui possède un sens très élevé du « Ndiguel ».
En effet, le Magal est avant tout, une recommandation du Fondateur du Mouridisme exprimée en ces termes : « Quant aux bienfaits que Dieu m’a accordés, ma seule et souveraine gratitude ne les couvre plus; par conséquent, j’invite toute personne, que mon bonheur personnel réjouirait, à s’unir à moi dans la reconnaissance à Dieu, dans la mesure de ses possibilités en sacrifiant des espèces allant de la poule au chameau, chaque fois que l’anniversaire de mon départ en exil le trouvera sur terre».
Partout, le discours reste le même, qu’ils soient membres des ménages ou de dahiras, ils ressentent tous un immense sentiment de joie, de plaisir et d’amour lors du Magal. De même, ils ressentent une certaine satisfaction d’action bien faite à l’égard de leur Seigneur. En célébrant le Magal, certaines personnes ont le sentiment d’accomplir une mission. Le Magal est en effet considéré comme une victoire de l’islam et de l’Homme africain : « C’est un jour de victoire pour l’islam. Je ressens beaucoup de plaisir et de fierté à y participer…..Je suis d’avantage réconforté dans ma position quand je vois que mes enfants ont les mêmes sentiments à aller à Touba pour magnifier le jour de victoire de l’homme noir».
L’avènement du Magal inspire beaucoup de valeurs islamiques et de comportements: l’amour entre les différentes confréries, le partage, la paix, la solidarité, l’entraide, le respect mutuel, le pardon, la bonté, la propreté, la piété, la persévérance, la récitation du coran, des Khassaides, les causeries sur le Prophète, sur les hommes pieux, la dévotion envers Dieu, la « sunna » du prophète, l’union des musulmans, le rappel du droit chemin, la confiance en soi…..
Le Magal rappelle également des évènements partagés par toute la communauté musulmane dont le plus important est le pèlerinage à la Mecque qui a été cité par plusieurs enquêtés. En effet, à Touba tout comme à la Mecque, les pèlerins sont au même pied d’égalité, ils s’efforcent d’être purs et le plus proches de leur seigneur à travers les prières et la lecture du Coran. Il y a aussi le Ramadan, car après la privation et l’abstinence, le fidèle est autorisé, en fin de journée, à rompre son jeûne et bénéficie ainsi des faveurs de son Seigneur.
Le Magal rappelle aussi les évènements victorieux de la religion qui exaltent la Gloire Divine telles que la Tabaski, la naissance du prophète, le retour du prophète à la Mecque, l’arrivée du prophète à Médine, l’entrée de Seydina Oumar dans la religion musulmane et la guerre de Badr.
A l’arrivée, il y a un sentiment de satisfaction, d’élévation et de purification spirituelle : « je me sens comme quelqu’un qui est à la Mecque, qui a une satisfaction intérieure et qui a reçu des bénédictions de la part d’Allah et du Cheikh ». Et la transformation est manifeste : « Je ne peux même pas l’expliquer, dès mon entrée à Touba je deviens comme une personne qui est sous l’emprise d’une force innée ». Cela peut aussi expliquer le sentiment d’ouverture spirituelleressenti par certaines personnes lors du Magal. Pour les mystiques, le trajet vers la ville sainte constitue véritablement un voyage vers l'unité divine, la voie soufie elle-même.
En célébrant le Magal, certaines personnes ont le sentiment d’accomplir une mission, d’où la nécessité de venir à Touba pour renouveler sa foi et son appartenance à la communauté de Cheikh Ahmadou Bamba. « Le grand Magal est le jour de Cheikh Ahmadou Bamba, il est aussi le plus beau jour des mourides. Il marque la victoire de la vérité prônée par le vénéré Cheikh Ahmadou Bamba sur l’homme blanc. Pour moi il représente la fête, la joie, c’est le jour le plus important de ma vie. Ce jour est sans égal. Le Tout puissant a demandé au Cheikh de choisir un jour pour le remercier, de ses œuvres et le Cheikh de choisir le jour le plus difficile, le plus dur, le jour où il a été pris en otage par l’homme blanc, partant de là, et tant qu’il me restera un souffle de vie, je reviendrai à chaque édition », disait une personne interrogée.
Pour la plupart des ménages et des dahiras enquêtés, le Magal doit aussi être un jour d’introspection spirituelle pour chaque mouride. Faire le point sur sa qualité de talibé, s’interroger sur ce qui doit être le comportement d’un bon mouride, sur son engagement dans les recommandations du Cheikh, sur ses actions en faveur de l’islam, etc.…
2. La DIMENSION FESTIVE (« BERNDÈÈL ») ET SOCIALE
Le Magal, c’est aussi la dimension festive avec le « Berndèèl ». La qualité et la quantité des aliments et collations doivent permettre à chacun de sentir que le Magal, c’est la meilleure fête qui puisse exister. Donner à manger est un acte fortement recommandé par l’Islam. Et sur ce plan, il faut reconnaître que les ménages à Touba et les Dahiras ont toujours fourni des efforts immenses pour la réussite de cette journée. Dans presque toutes les familles ainsi qu’au sein des Dahiras, des moutons, des bœufs et même des chameaux sont immolés pour l’occasion. Une quantité astronomique de boissons, de gâteaux et de toutes sortes de mets est offerte aux pèlerins à Touba durant le Magal. Certains talibés reviennent même de Touba chargés de produits alimentaires qu’ils offrent aux gens qui n’ont pas pu se rendre au Magal.
Le jour du Magal, tout y passe pour une participation satisfaisante comme le dit ce jeune homme lors des entretiens : « Je cuisine avec les femmes, je participe à tous les travaux domestiques à côté de mes frères, sœurs amis et enfants, et cela avec énormément de fierté et de plaisir… ».
Au demeurant, la disponibilité de la nourriture pour tous, pendant et après le Magal à Touba, participent d’une certaine façon à la réduction de la faim et de la pauvreté au Sénégal, au moins durant cette période. Plusieurs villageois affluent ainsi à Touba, avec pour objectif de tirer profit de ses opportunités en termes d’accès à l’alimentation, à l’eau potable, aux revenus et aux autres facteurs de qualité de vie, dont les services de santé grâce aux campagnes de soins gratuits.
3. La DIMENSION ECONOMIQUE
Le comptage des véhicules entrés à Touba, par nos équipes, lors du Magal de 2011 (dont le nombre total, y compris les rotations, est estimé à 110.000 véhicules), a permis d’approximer le total de participants au Magal à 3 millions 90 mille personnes, y compris les habitants de Touba et Mbacke. L’âge moyen des participants adolescents et adultes (plus de 15 ans) se situe autour de 32 ans. Ces pèlerins, venus de tout le Sénégal et du monde entier, viennent ainsi répondre à l’appel du vénéré Cheikh Ahmadou Bamba. Cela justifie amplement que le Parlement doive accélérer le vote d’une loi faisant du Magal une fête nationale chômée et payée ; un décret étant de moindre portée.
A court terme, le Magal génère une augmentation du volume d’activité de plusieurs secteurs économiques nationaux et un apport de richesses dans le tissu économique local.
En effet, les résultats des enquêtes menées à Touba montrent que le Magal entraîne des changements importants dans les dépenses des participants a l’événement. En moyenne, le ménage type enquêté consomme, pour chacun des trois jours de l’événement, l’équivalent de 45.000 F CFA par jour, soit quinze fois plus que la dépense journalière, en temps normal, d’un ménage moyen sénégalais.
Le pèlerin-type (adulte) enquêté mobilise 76.000 FCFA pour le Magal, qu’il utilise comme suit :
Touba la Sainte, pendant la période du Magal, c'est également le point culminant du business au Sénégal. En l’espace de quelque jours, la ville devient un carrefour commercial pour troquer, acheter, vendre. Avec le Magal, l’activité économique de Dakar prend un répit en faveur de la ville religieuse qui accueille les marchands ambulants, surtout aux alentours du quartier Touba mosquée, rendez-vous de milliers de pèlerins qui font des emplettes après avoir visité le mausolée du fondateur du Mouridisme. Bien entendu, le site est placé sous haute surveillance. Devant son étal au marché Ocass de Touba, un commerçant déclare : « Ce qui est fabuleux, c'est que c'est un gros business qui est fait avec un grand respect du religieux » (Cheikh Guèye et Abdou Salam Fall diraient : « Deureum ak Ngeureum »).
Les commerçants et vendeurs à la sauvette viennent de partout, surtout des régions de Dakar, Kaolack, Diourbel et Thiès, mais aussi des pays limitrophes comme la Guinée, la Gambie et la Mauritanie, pour écouler leurs marchandises et faire des affaires. Le chiffre d’affaire est plus que triplé en période de Magal, ainsi que le volume de travail.
Pour la plupart des entreprises, il est également nécessaire, à l’approche de l’événement, de mettre en place un dispositif spécial pour faire face à l’accroissement des commandes. Les entreprises de téléphonie, de transfert d’argent, d’agro-alimentaire, des banques sont obligées de poursuivre la démarche de fidélisation destinée à leur clientèle, en essayant de les accompagner et de continuer à leur offrir un service de qualité.
4. La DIMENSION INFRASTRUCTURELLE
A long terme, le Magal favorise le développement et la modernisation de la ville de Touba.
Dans un souci d’anticiper les besoins futurs des pèlerins dans leur diversité, plusieurs travaux ont été réalisés, ou sont en cours de réalisation à Touba au cours de ces dernières décennies: constructions de routes, électrification, construction de la seconde résidence Khadîm Rassoul, rénovation de la Grande Mosquée, réhabilitation des forages, construction de centres de santé, renforcement de la disponibilité en eau, etc,.
Au-delà de l’effort de l’Etat dans le processus de modernisation de la ville de Touba, les talibés mourides se distinguent également à travers leur capacité de mobilisation des fonds afin d’améliorer d’années en années les conditions d’accueil et d’hébergement des pèlerins.
Grâce au Magal, la ville de Touba se modernise donc, donnant a donné naissance, pendant les trente dernières années, à une nouvelle grande ville qui s’impose de manière inattendue dans le paysage urbain sénégalais et suscite de nouveaux enjeux.
Tout ceci accélère le développement des infrastructures à Touba et en fait progressivement une ville dotée des commodités nécessaires au bon déroulement du Magal.
5. La DIMENSION SOCIO-CULTURELLE
Autre dimension fondamentale du Magal de Touba, l’aspect socio-culturel. Pour les ménages mourides et les dahiras enquêtés, le Magal offre à beaucoup de mourides l’occasion unique de se retrouver. Beaucoup de personnes profitent du Magal pour organiser leur rencontre annuelle de famille. L’événement est donc un important facteur de renforcement de liens familiaux pour des gens de plus en plus dispersés au Sénégal et dans le monde. Mais tout au bout, il y a comme le dit ce membre de dahira, une remise en cause de soi : « on se demande si on s’est suffisamment investi dans la préparation du Magal, aussi bien physiquement que financièrement ». Cela explique certainement le désir de toujours faire plus.
De surcroît, le Magal est un moment de retrouvailles et de renforcement des valeurs culturelles telles que le partage, la revivification des liens de parenté, d’amitié, la communion, l’humilité, le sens du pardon, le don de soi et la fidélité à l’image des « baye fall », le respect des anciens, l’union face à Dieu, la mise en pratique sans exclusion de la Téranga, la mise en exergue de la culture mouride, à travers l’habillement, la littérature et la poésie (les Wolofals).
Pour la plupart des ménages et dahiras enquêtés, c’est le lieu de magnifier le rôle important que le Magal joue dans le brassage ethnique entre les Sénégalais. Contrairement à beaucoup d’autres pays africains, le Sénégal a toujours su se préserver des conflits ethniques, cela grâce, en partie, à de tels évènements qui regroupent des millions de personnes d’ethnies, de races, de conditions sociales différentes pour un même but : rendre grâce à Dieu et célébrer l’œuvre de Cheikh Ahmadou Bamba.
Il en est de même pour ce qui est du renforcement de la paix et de l’harmonie entre les confréries islamiques du pays. Beaucoup de mourides aiment en effet inviter leurs amis et collègues des autres confréries (Tidianes, Khadres, Layénes, etc…) à se joindre à eux dans la célébration du Magal.
En outre, le Magal peut servir de plateforme pour prôner la paix, l’unité et la tolérance dans le pays à travers les prêches et les recommandations du Cheikh et de son khalife général. En effet, Touba, lors du Magal devient un point de convergence des différentes confréries, des partis politiques, et des différentes ethnies que comptent le Sénégal. C’est alors l’occasion de défendre l’intérêt national par la promotion du dialogue, de l’entraide et l’union des cœurs à travers les enseignements du Cheikh : « Si chacun regardait son prochain à travers l’image du Cheikh, alors tout le monde s’aimerait et se respecterait» dit un membre de Dahira.
Sous cet angle, on peut dire que le Magal est « un facteur de régulation sociale » qui renforce la solidarité et la paix entre différentes couches de la société.
D’un point de vue ésotérique, « les prières que l’on y effectue, la lecture du Saint coran durant la journée et toute la nuit participent à rendre le pays plus stable et assurent le bien être à tous : « Aujourd’hui malgré les difficultés de la vie, il y a quelque chose qui n’existe qu’au Sénégal c’est la paix et cela nous le devons à l’œuvre de Cheikh Ahmadou. C’est grâce à lui que la paix règne dans ce pays ».
6. La DIMENSION ÉDUCATIVE
Le Magal possède aussi une dimension éducative. Le Comité d’organisation et les Dahiras organisent en effet de grandes animations culturelle avant, pendant et après le Magal, avec des conférences, des débats, des séminaires, des expositions, des chants religieux, à Touba, à Dakar, dans les autres régions du pays et dans le monde, dans les médias, sur Internet, et dans les universités. Tout ceci contribue à l’éducation des talibés et leur permet de mieux s’imprégner des enseignements de Cheikh Ahmadou Bamba.
7. La DIMENSION INTERNATIONALE ET DIPLOMATIQUE
Il faut aussi noter le caractère international et diplomatique du Magal, par la présence à Touba de nombreuses délégations de pays étrangers, représentées en général par leurs ambassadeurs. Certains pays frontaliers du Sénégal comme la Gambie et la Mauritanie sont représentés à la fois par des officiels, par des Oulémas et par plusieurs milliers de pèlerins. Nul doute que Le Magal constitue un évènement qui contribue au succès de la politique diplomatique du Sénégal. Autre facteur très important de l’événement, des occidentaux, de plus en plus nombreux, se retrouvent à Touba lors du Magal. Si certains ne viennent que par curiosité, d’autres par contre sont là par conviction religieuse et attachement aux enseignements du Cheikh Ahmadou Bamba.
Le Magal contribue ainsi à la vulgarisation des œuvres de Cheikh Ahmadou Bamba. En effet le Magal est un évènement universel. Des gens viennent de partout dans le monde pour le célébrer. L’affluence des médias vers la ville sainte le confirme. D’autres éléments vulgarisateurs concernent les conférences, les causeries, et les expositions sur la vie du Cheikh en général.
C’est à travers l’œuvre de Cheikh Ahmadou Bamba que le Magal a cette dimension mondiale. En effet « son courage et son pacifisme ont ému tous les musulmans et même ceux qui ne le sont pas. Il s’est sacrifié pour le triomphe de la vérité. Injustement harcelé, il a su rester un homme fidèle à ses convictions, en recommandant : le travail de la terre, l’apprentissage du saint coran et des « khassaïdes », le refus de l’aliénation et le respect du « ndiguel ».
Par Moubarack LO
Président Emergence Consulting
Coordonnateur d’une enquête sur l’impact économique du Magal de Touba
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